Actualités Encourager les initiatives chez les aides à domicile
Une 5ème récompense pour Libérons Nos Energies en décembre 2023 par Direction[s], qui nous offre aujourd’hui un bel article dans leur magazine.
Nantes (Loire-Atlantique). Avec « Libérons nos énergies », l’association Aide à domicile pour tous encourage la prise d’initiative de ses salariés et améliore, in fine, la qualité de leur travail. Un cercle vertueux récompensé d’un prix dans la catégorie Innovations managériales lors du Trophée Direction[s] 2023.
Ce matin-là, l’aide à domicile Angélique Audenino s’est transformée en chauffeuse particulière : elle circule dans Nantes pour récupérer quelques-uns des participants à la sortie collective d’avril organisée par l’association Aide à domicile pour tous de Loire-Atlantique (ADT 44). « Ça me permet de sortir de mon appartement, de voir autre chose, et surtout de rencontrer d’autres personnes », confie tout sourire Françoise Verlac, 64 ans, en s’installant à l’arrière de la voiture. Ravie de partir en promenade plus loin que le tour de quartier qu’elle fait chaque semaine avec son aide à domicile, elle énumère les autres activités auxquelles elle a déjà participé : « Le loto, les crêpes, l’atelier bricolage, la galette des rois, les chocolats de Noël… Mais j’ai loupé la virée à la plage et la séance bien-être des mains. » Françoise est contente de voir le visage du jeune homme en situation de handicap assis à l’avant : « C’est plus rassurant quand on se connaît », s’exclame-t-elle alors que la voiture sort de l’agglomération pour filer vers la campagne.
Polyvalence et initiative
La sortie du jour a lieu à Carquefou, dans la serre des plantes et des fleurs de l’association Psy’activ qui propose des ateliers à des personnes porteuses de troubles psychiques pour les remettre doucement en condition professionnelle. Comptant sept bénéficiaires d’ADT 44 (dont un en fauteuil roulant et un avec déambulateur), le petit groupe de visiteurs encadré par trois aides à domiciles circule dans les allées de la serre entre les étals de pots. Certains d’entre eux, travailleurs d’établissements ou services d’aide par le travail à la retraite, y ont des souvenirs qu’ils partagent. Tous échangent avec l’accueillante encadrante technique et quelques jeunes travailleurs, et repartent avec des plantes grasses et des légumes achetés à la boutique.
« Les bénéficiaires nous voient dans un autre cadre que celui de nos interventions chez eux pour le ménage, l’aide à la toilette, les démarches administratives ou les courses », explique plus tard Angélique Audenino dans les bureaux nantais de l’association, lors d’une réunion avec d’autres collègues engagées dans l’animation de ces actions collectives. Embauchée depuis cinq ans, elle y contribue depuis quelques mois, avec enthousiasme : « Nous décidons ce que nous pouvons proposer et à qui, en fonction de leurs goûts, de leurs capacités et de leur fatigabilité. » « Quand on voit les personnes s’épanouir, ça fait chaud au cœur ! », renchérit Rahma Rabia-Cherif, aide à domicile en reconversion, arrivée plus récemment. « Pour nous c’est très valorisant, même si c’est beaucoup de travail pour faire que les gens soient présents le jour J », reconnaît cette dernière qui met toute son énergie au service de cette nouvelle mission.
Révolution en marche
Comme Angélique et Rahma, un certain nombre d’auxiliaires de vie d’ADT 44 ont gagné ces dernières années en polyvalence et prise d’initiative. « Voilà l’idée au cœur de notre dynamique “Libérons nos énergies” : faire davantage confiance aux salariés, les responsabiliser et les valoriser », martèle Geoffroy Verdier, son directeur général depuis 2009. Quand il arrive à la tête de cette association créée en 1976, fort de son expérience dans l’éducation populaire et de ses convictions en faveur d’un management de proximité, il commence par redresser la barre économique et par remotiver les troupes, en améliorant les conditions de travail et le plan de formation. Pour autant, un baromètre social constate que si les salariés sont assez « soleil » sur l’ambiance au travail, ils restent plutôt « nuage » sur le niveau de rémunération et la gestion des plannings… « J’ai alors pressenti qu’il fallait pousser plus loin la “libération” de l’organisation, pas au sens libéral mais bien humain », raconte-t-il. En 2017, à la recherche de façons de continuer à faire bouger les lignes, il provoque deux rencontres avec des pionniers de l’entreprise dite libérée : l’une avec Alexandre Girard, directeur de Chrono Flex, un des premiers modèles du genre en France ; l’autre avec des représentants de Buurtzog (Pays-Bas), structure de soins infirmiers à domicile qui a révolutionné son fonctionnement en autonomisant ses salariés. À la fois inspiré et réservé, le directeur général commence à transformer le modèle d’ADT 44 par « un acte démagogique », avoue-t-il, en disant à ses employés : « Comme nous n’arrivons pas à gérer les plannings, on va vous laisser faire. »
Cercle vertueux
Le premier jalon de la démarche « Libérons nos énergies » se met en place avec le support de comités de pilotage à partir de 2018. Chaque auxiliaire est équipé d’un smartphone doté de l’application Domatel mobile. Cela lui permet d’intervenir en temps réel sur son emploi du temps, en fonction de ses contraintes et de celles des bénéficiaires pour éviter les trous et optimiser les circuits. L’expérimentation est d’abord lancée sur les territoires de Nantes et de Guérande, avec des ballons d’essais spontanés dans d’autres secteurs. Elle est généralisée à partir de 2020 sur tout le département. « Nous avons mené un important travail d’accompagnement, personnalisé et collectif, en direction des responsables de secteur et de leurs assistants techniques, pour qu’ils lâchent la gestion des plannings et entrent dans la co-construction avec les aides à domicile », explique Anne-Sophie Deveau qui, en tant que directrice des Parcours et de l’Autonomie, assure la coordination opérationnelle des responsables de secteur. Ces derniers ont dû sortir de leur zone de confort… pour finalement se voir redonner toute leur place. « Déchargés des plannings, ils ont pu se recentrer sur leur expertise, l’évaluation médico-sociale, et sur l’accompagnement des équipes. Cela les valorise dans leurs compétences », assure la directrice.
Deuxième axe de « Libérons nos énergies » ? La diversification des missions : animation d’actions collectives, mais aussi participation aux entretiens d’embauche et tutorat des nouveaux employés, visites à domicile pour évaluer les besoins avec les responsables de secteur et interventions groupées en habitat inclusif.
Enfin le troisième objectif, l’augmentation du pouvoir d’agir, passe par la possibilité pour les volontaires d’endosser des rôles formels dans l’organisation. Ainsi, les « ADTeams », au nombre de soixante environ, jouent collectif et sont des vecteurs de dialogue entre équipes et direction. Une mission que vient d’accepter Rahma, toujours motivée pour élargir ses compétences : « Il s’agit de contribuer à ce que l’information circule entre le bas et le haut, de participer à des formations et de transmettre aux autres ce que j’ai appris, d’accueillir de nouveaux salariés, etc. » Dans le cercle suivant, environ cent cinquante salariés sont, eux aussi, des « ambassadeurs » capables de défendre les valeurs de la structure et de faire de la pédagogie auprès de leurs collègues ou des usagers.
Et les rémunérations ? En octobre 2021, la revalorisation de la branche de l’aide à domicile dans la convention collective par l’avenant 43 tombe à point nommé : elle permet de faire évoluer la grille des salaires, en cohérence avec la valorisation des diplômes, de l’ancienneté et des missions.
Dans l’accord d’entreprise
À présent, « Libérons nos énergies » est inscrit dans l’accord d’entreprise. « Un vrai plus pour le recrutement. Cela rend l’ADT 44 attractive et permet de fidéliser les candidats ! », assure Jennifer Turquet, cadre Marque employeur chargée de promouvoir l’image de l’association en interne comme en externe. Elle liste les points forts : « Épanouissement en conciliant vies professionnelle et personnelle, qualité des conditions de travail, montée en compétences. » 215 nouveaux salariés ont été recrutés en 2021, 280 en 2022 et 300 en 2023, avec une diversification de profils. « L’aide à domicile est un métier difficile pour lequel on peut dresser un tableau noir. Nous essayons de dépasser chaque élément de pénibilité et d’ouvrir le champ des possibles… pour mieux répondre aux besoins des bénéficiaires », se félicite Geoffroy Verdier, satisfait du développement de l’activité avec une augmentation des demandes.
L’accompagnement continue donc pour faire entrer les salariés d’ADT 44 dans la feuille de route commune : les nouveaux arrivants, mais aussi les travailleurs des territoires plus spécifiques ou les personnes au départ plus éloignées de l’emploi. « À l’échelle de 620 salariés tout le monde n’avance pas au même rythme. Et on va de plus en plus loin, d’année en année… », reconnaît Anne-Sophie Deveau.
Recherche de solutions
Retour à l’ADT 44, où une dizaine d’aides à domicile – autant d’hommes que de femmes – du secteur Nantes-Est sont autour de la table pour leur réunion bi-mensuelle. Pauline Portais, responsable de secteur, anime les discussions. Nader Rafie prend la parole pour confier une situation qui le turlupine : « Monsieur M. est très mal en ce moment. Quand j’arrive, ses affaires ne sont pas rangées, il est parfois alcoolisé. Alors je discute avec lui au lieu de faire le ménage. » « Du coup, j’imagine que c’est compliqué de mettre en place l’aide à la douche ? », l’interroge avec compréhension Pauline Portais, avant de s’engager à contacter le responsable de la résidence pour en parler. Au tour d’une autre collègue de partager ce qui lui pèse : « Madame S. critique tous les intervenants passés avant moi, avec beaucoup de détails. C’est très fatigant et je me demande quand j’en serai la cible ! » Pauline Portais favorise les échanges de pratiques, les aide à prendre du recul. Elle associe toute l’équipe à la recherche de solutions en coordination avec les autres intervenants. Elle informe aussi sur la possibilité de s’inscrire à un accompagnement professionnel des équipes avec un psychologue, sur la thématique des risques suicidaires. Conseillère en économie sociale familiale de formation, la responsable de secteur est arrivée il y a deux ans après une expérience de consultante en évolution professionnelle : « Le projet associatif et la façon de manager correspondent à ce qui m’anime ! Ici aussi, je soutiens l’évolution professionnelle de mes collègues. Car il ne suffit pas de décréter la libération des énergies, il faut l’accompagner ! » Et c’est là la clé du succès.
Retour sur le trophée Direction[s] 2023 ICI